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Entre nou(s)velles
3 mai 2011

Parfums de meurtre (version courte)

Mai 2011 - Nouvelle proposée au concours de la police locale de Liège

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Commissariat de la ville d’Alpengen – 7h32.
Grégoire Latorche, les joues mal rasées et les yeux rentrés dans ses orbites comme pour se cacher de la lumière et de la réalité de la vie, était avachi sur sa chaise, les mains posées sur son ventre légèrement rebondi mais bien moins que la plupart des hommes de son âge. Regarder s’activer la nouvelle recrue du commissariat le fatiguait. C’était peut-être son optimisme ou sa jeunesse ou un peu de tout ça qui l’énervait. Grégoire se rappelait qu’à ses débuts, lui aussi était tout feu tout flamme, il avait soif de justice et d’affaires savamment résolues. Mais à quoi bon toute cette énergie? Des petits voyous du vendredi soir, des chauffards ivrognes qui se prenaient des poteaux… la misère de vies ordinaires, dans une ville ordinaire. Aujourd’hui, il n’aspirait qu’à une seule chose : prendre sa retraite. En finir avec toutes ces conneries.
En pleine rêverie sur sa prochaine partie de pêche, le téléphone sonna. Il fronça les sourcils, se redressa, puis une fois le combiné raccroché, il interpella son collègue : « Mon garçon, nous avons une nouvelle affaire. Un meurtre ! » A ces mots, le jeune Frédéric Ulman, fraîchement sorti de son école de police, redressa la tête comme un chien idiot ayant reniflé l’odeur alléchante d’un os.

 

Sur le parking du club « Papillons de nuit » à la sortie d’Alpagen – 8h06
Les deux flics scrutaient par les vitres de la Mercedes classe S. A l’intérieur gisait un homme d’une cinquantaine d’années, la langue pendante, les yeux grands ouverts. Ce n’était pas beau à voir. Le jeune Ulman tentait de cacher son malaise. Quelques éructations sortaient de sa bouche, qu’il dissimulait mal derrière une toux factice. C’était la première fois qu’il voyait un homme mort. Il pensait pourtant être préparé à ce genre de situation au vu du nombre de séries policières qu’il avait ingurgitées.
Au côté des deux hommes, le médecin légiste soliloquait. Pour lui, la cause du meurtre  était, sans aucun doute possible, la strangulation. Il ferait tout de même toutes les analyses mais il était catégorique : la victime, le maire d’Alpengen, avait été étranglée. Il en saurait plus après l’autopsie. Merde, c’est vrai ! Latorche venait de réaliser : c’était le macchabé du maire qu’il avait sur les bras, et sur le parking d’une boite de strip encore…

Après le départ du médecin légiste et de son cadavre, Latorche tournait autour de la voiture, dans la zone délimitée par les rubans jaunes interdisant de pénétrer la zone, comme un chien policier cherchant de la dope. Après quelques minutes, Latorche demanda à Ulman de le suivre dans le club de strip-tease. « Dis-moi Frédo, qu’as-tu remarqué sur la scène du crime ? » Ulman dut admettre que rien de particulier n’avait attiré son attention. Mauvais point pour un flic, souffla Latorche.
« Et bien c’est la preuve que ce crime a été non seulement bien préparé, mais que la victime connaissait son meurtrier. » Latorche ressentit comme de l’enthousiasme. Enfin une vraie affaire ! De quoi finir en beauté sa carrière.
L’interrogatoire du gérant du club, Gaston Hostinacq, ne dura pas plus de dix minutes. Bien sûr, il connaissait la victime. M. Dumont était un client régulier depuis plusieurs années. Il n’avait jamais remarqué quoi que ce soit de louche chez cet homme ou ses fréquentations. Le gérant n’avait aucune idée de qui pouvait lui en vouloir au point de le tuer, ni pour quelle foutue raison. Bien sûr, c’était un politique, il avait sûrement des ennemis mais enfin Alpegen n’est pas Miami ! Les affaires du coin ne pouvaient en rien expliquer un meurtre, non ? Latorche se sentit obligé de rappeler au gérant quelques fâcheux dossiers oubliés et non bouclés… Après quelques instants de silence,  Hostinacq, comme soudainement frappé par une illumination, s’empressa de leur suggérer d’interroger Maggie, une des  strip-teaseuses du club. Il avait surpris, sans le vouloir, une conversation houleuse près des loges et il en aurait juré, elle avait une aventure avec le maire.  Latorche tapota la joue grâce du gérant comme si c’était un gentil clébard et l’informa d’une probable visite ce soir.

Résidence des Dumont, quartier chic d’Alpengen – 9h46.
 La maison ressemblait à celles des magazines de déco qu’affectionnent tant les bourgeois ou ceux qui pensent en être : im-pe-cca-ble. Madame Béatrice Dumont était debout dans le salon, devant une des grandes fenêtres. Latorche, circonspect, lui annonça la mort de son mari. Elle dut s’assoir sur un fauteuil pour ne pas s’effondrer sur le tapis épais. Quelques larmes coulèrent. De petites larmes dignes. Latorche proposa un mouchoir, qu’elle refusa… Elle ne comprenait pas. Elle était abasourdie. Elle était bouleversée. Elle ne pouvait pas s’imaginer qu’une telle horreur soit arrivée.
Latorche fit comprendre à Ulman, d’un léger mouvement de menton, qu’il lui laissait la main pour la questionner. Bloc et crayon en main, Frédéric posait toutes les questions habituelles sur les fréquentations de la victime, les problèmes dont il aurait pu lui parler, les éventuels changements de comportement de son mari ces dernières semaines, ce qu’elle avait fait la veille et la nuit du meurtre... Madame Dumont répondit posément, elle avait retrouvé son attitude calme et digne de femme de notable. Aucun indice ou souci d’aucune sorte ne pouvait expliquer ce qui était arrivé. Non, elle ne s’était pas inquiétée de ne pas voir rentrer son mari, c’était monnaie courante avec toutes les obligations de son métier. Ce sera l’acte d’un fou, d’un anarchiste ou d’un citoyen mécontent, conjectura-t-elle. Ulman lui rappela les circonstances du drame, c’est le mot qu’il employa : le club de strip-tease, la voiture intacte, la liaison avec Maggie. Ulman attendait une réaction qui ne venait pas. Latorche, qui était en train de déambuler dans la pièce comme se promenant dans une galerie, touchant un bibelot, prenant entre ses mains une photo du couple bronzé et souriant dans un décor de montagnes, s’étonna pour lui-même du silence de la femme. « Vous étiez au courant de la liaison de votre mari ? » Elle répondit que non. Et n’ajouta pas un mot de plus.
Latorche demanda à regarder dans les affaires du mari. « Je sais que cela peut sembler intrusif mais c’est la procédure m’dame ». Latorche, comme il l’expliquera plus tard au jeune Ulman avait essayé de déstabiliser cette femme exemplaire en faisant le fouineur. Pour la faire réagir quoi.

Dans le bureau, rien de spécial. Dans la chambre non plus. Latorche se surprit seulement à reconnaître l’odeur de deux parfums. Deux parfums qu’il connaissait bien puisque sa mère les avait portés toute sa vie ; l’un aux beaux jours, l’autre quand les journées devenaient courtes et froides.

Commissariat d’Alpengen – 16h37
Vérification des coups de téléphone de la victime, de ses comptes en banques. Recherche sur le club et sa comptabilité. Témoignages des voisins. Casier judiciaire du gérant. Passé de toutes les filles dont Maggie. Biographie édifiante mais lisse de madame Dumont. Les deux hommes passèrent une partie de la journée à appeler, chercher, éplucher moult documents à la recherche d’un petit indice ou d’une piste. Rien… Une seule information supplémentaire leur avait été apportée : l’autopsie avait révélé que l’arme du crime était un bas de soie.
Latorche, avec son air de vieux loup, résuma la situation à son jeune adjoint : « Mon ptit Frédo, on dirait bien que nous sommes dans une impasse. Pas de mobile. Ils semblent tous cleans. Il ne nous reste plus que cette fameuse Maggie. »

Club Papillons de nuit – 23h15
En entrant dans le club, les deux policiers furent happés par une atmosphère brute mêlant sensualité et excitation mâle, accentuée par la pénombre du lieu. Seul le centre de la scène était éclairé. Y dansait lascivement autour d’une chaise, qui constituait le seul décor, une femme aux  longues jambes et à la chevelure brune. Ils étaient arrivés au moment où elle s’apprêtait à retirer son soutien-gorge : le clou du spectacle. Ulman les imaginait lourds et ronds comme des pamplemousses et souriait comme un niais. Il aurait voulu pouvoir vérifier de plus près, mais Latorche s’était dirigé vers le barman. Il le suivit en gardant un œil sur la scène. « Qui est la gonzesse, là, sur scène ? » demanda Latorche « C’est Maggie » répondit l’homme derrière son bar en train de servir des doubles whisky à plusieurs routiers et étudiants en rut. Latorche fixa de nouveau la scène… sous les projecteurs un soutif vola un bref instant tel un vieux pigeon…  Ulman à côté de lui avait un air content.
Lorsque les deux hommes entrèrent dans sa loge, Maggie se démaquillait. Ils se présentèrent et lui demandèrent tout de go de répondre à quelques questions au sujet de son amant brutalement décédé. Elle commença à raconter son histoire avec le maire, leur rencontre, ses promesses, leurs rendez-vous… Elle leur détailla aussi son emploi du temps. Ulman notait toutes ces informations avec une concentration extrême dans son petit carnet à spirales. Il savait qu’il lui faudrait ensuite tout vérifier. L’entretien ne dura pas plus de temps qu’une de ses danses qu’elle offrait aux clients du Papillons de nuit, mais son témoignage ne révélait aucune incohérence, il n’était donc pas nécessaire de s’appesantir plus pour le moment. Rideau.

Le lendemain – Hôtel de police d’Alpengen – 9h30
Lorsqu’Ulman arriva au commissariat, il fut surpris d’y voir déjà Latorche qui semblait assez préoccupé.  « J’ai réfléchi toute la nuit. J’ai revu tous les détails et je pense avoir trouvé quelque chose. Nous allons réaliser une petite expérience avec l’aide du bureau scientifique ». Ulman n’eut pas le temps de vider le gobelet de café qu’il tenait entre ses mains que Latorche le poussait vers la sortie.

Laboratoire scientifique de la police régionale – 10h12
La pièce dans laquelle étaient réunis les deux flics et l’équipe scientifique était d’un aspect froid : tout était blanc ou gris. Sur une grande table, reposait des bas de soie et la reproduction d’un buste humain réalisé à partir d’une matière High-tech reconstituant les caractéristiques anatomiques d’un homme : température, densité de peau, de chair etc. Pour l’expérience, des testeurs, pris parmi les laborantins, devaient utiliser le bas de soie- le même modèle que celui utilisé pour le meurtre du maire- le nouer autour du cou du mannequin et tirer jusqu’à ce qu’un voyant lumineux vert s’allume, signifiant que la force appliquée était suffisante pour provoquer la mort par strangulation. Chacun des apprentis meurtriers possédait les caractéristiques physiques de Gaston Hostinacq, Maggie, Madame Dumont…  Aucun des trois ne réussit à déclencher la lumière témoin. Latorche redemanda du café à un type en blouse, en précisant qu’il le souhaitait buvable cette fois-ci.  Il pris ensuite un air sérieux et s’adressa, grandiloquent, à l’assistance « C’est bien ce que je pensais. Messieurs, nous avons d’autres tests à effectuer !

Hôtel de police d’Alpengen – 18 h00 – salle des interrogatoires.
Maggie attendait, les mains pliées sur les genoux, dans la salle attenante au bureau. Latorche vint la chercher et l’accompagna jusqu’à son bureau.
Elle remarqua en entrant, se tenant droit comme un i, le jeune Ulman qui semblait la reluquer avec un petit air lubrique dans les yeux. Elle n’y prêta pas attention et se tourna vers la chaise que lui indiquait Latorche. Elle eut alors un mouvement de recul. Latorche prit la parole : « Mademoiselle, je me suis permis d’inviter une autre personne à notre petit entretien. Je ne vous présente pas, vous vous connaissez, vous et madame Dumont, n’est-ce pas ? ». Les deux femmes n’osèrent pas se regarder. Maggie prit place sur une chaise et déclara ne pas comprendre ce qu’il se passait. Latorche prit l’attitude d’un homme à qui on ne la fait pas. Torse bombé, mains à plat sur le bureau, il adressa à Ulman un clin d’œil pour lui signifier qu’il allait assister là, à une belle démonstration. « Mesdames, j’avoue qu’ils nous a été difficile de comprendre ce qui avait bien pu se passer dans cette affaire. Qui aurait bien vouloir tuer notre brave maire et surtout pour quelle raison ? Nos premières recherches ne nous ont seulement convaincu de la vie paisible et honnête menée par la victime. Mis à part sa liaison avec vous mademoiselle Marie Girard, bien entendu. Et puis, en vous rendant visite madame Dumont, j’ai remarqué ces odeurs de parfums dans votre chambre. Vous possédez un des deux parfums, j’ai vu son flacon sur la coiffeuse dans votre chambre. Quant à l’autre, je l’ai vu dans votre loge Maggie. Je n’ai pas tout de suite compris. Mais je n’ai pas pu dormir de la nuit, je n’arrêtais pas de penser… à ma mère. Et là j’ai compris. Les deux parfums, vous deux. Là j’ai eu l’intuition que vous aviez été complices ! » Tout en parlant, Latorche semblait promener ses narines de l’une à l’autre. Ulman commençait à comprendre et reprit le rapport des scientifiques, arrivé dans leur service une heure plus tôt. Il commença à le lire à haute voix en commençant par la conclusion : « Le test effectué rend compte de l’impossibilité pour une seule personne d’étrangler un homme de la corpulence de monsieur Dumont, de surcroît avec un bas de soie… » Eh oui, interrompit calmement Latorche, c’était non pas une personne qui avait fait le coup, mais deux. Les traces enregistrées sur l’ordinateur puis comparées à celles observées sur le cadavre ont permis de déterminer la paire gagnante : deux femmes…
Latorche reprit le dossier à son collègue et le plaça sous le nez des deux femmes. Madame Dumont regardait par la fenêtre comme si cela ne la concernait pas. Cette attitude de la veuve ou bien le sentiment d’être de toute façon fichue fit sortir Maggie de ses gonds. « Bordel de dieu, il nous a obligées à faire ça ! Il ne voulait pas comprendre que nous étions amoureuses et que nous voulions vivre ensemble ! Ce gros salaud nous a promis de tout faire pour nous empêcher de gâcher sa carrière et ternir sa réputation !»
Ulman sursauta devant cet aveu, tandis que Latorche s’enfonçait dans son fauteuil écoutant avec intérêt les explications qui lui manquaient. Madame Dumont, qui fixait désormais Latorche du regard, sortit de son silence « Que dites-vous de cela ? Une femme respectable avec une strip-teaseuse. Je suis la première étonnée, voyez-vous. Quand j’ai découvert la liaison de mon mari et que j’ai rencontré Maggie pour lui lancer tout ça au visage, j’ai été… comme subjuguée par sa beauté… Le coup de foudre comme on dit… Ça me changeait de ma vie de petite bourgeoise de province. Mais je n’aurais jamais cru que je deviendrai un assassin. »

En sortant du commissariat, Latorche proposa à Ulman, encore bluffé par toute cette histoire, d’aller boire un coup pour célébrer cette victoire sur le crime. En chemin, Latorche, non sans fierté, tapota de son index son pif fatigué « Tu vois Frédo, après tout, être flic, c’est avant tout… une affaire de flair ! »

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