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Entre nou(s)velles
2 décembre 2010

La course

La course

C’est lui qui est arrivé le premier. D’un pas assuré, il a tiré vers lui la porte et a pénétré dans le bar. Quelques visages se sont tournés vers lui, il n’est pas une personne qui passe inaperçue : un peu plus grand que la moyenne, des cheveux châtains bouclés, de larges épaules et de grands yeux noirs. Avant de se précipiter vers le zinc ou de s’attabler à l’une des places libres, il a pris le temps de faire le tour de la salle des yeux, il a posé son regard sur chacune des tables occupées, cherchant un visage qu’il connaissait. D’un air qui semblait être celui de la déception, il a regardé sa montre ; un sourire s’est épanoui sur son visage, laissant apparaître deux jolies fossettes aux joues : il était en avance.

Au même instant, alors qu’il entrait dans le café, elle, se  trouvait dans le métro. Elle était partie de son bureau beaucoup plus tard qu’elle ne l’aurait voulu. Une réunion qui s’était éternisée. A peine le temps de dire au revoir à ses collègues, qu’elle avait noué un foulard à son cou, avait prit sa veste à la main pour la passer sur ses épaules dans l’ascenseur. Aucun minute ne devait être perdue sinon elle serait en retard pour leur rendez-vous. Elle tenait à être à l’heure pour profiter de sa présence le plus longtemps possible.
Contrairement à son habitude, elle ne put lire pendant le trajet. Elle n’arrivait pas à se concentrer. Elle ne faisait que penser à lui, à ce rendez-vous qu’ils s’étaient donné. Avant ce jour, ils ne s’étaient vus qu’une seule fois lors d’un dîner. Une dizaine de personnes, dans le double salon d’un appartement bourgeois du quatorzième arrondissement, dégustant des mets fins, buvant des vins hors de prix et discutant politique représentaient le décor de cette première fois où ils s’étaient croisés. Une chaleur leur était montée dans le corps, des œillades discrètes et néanmoins appuyées avaient été échangées, des sourires portés qui en disaient long sur une connivence à naître. Avant de partir, entre autres amabilités sociales, il lui avait glissé un bout de papier plié en deux dans la poche de sa veste. « Appelez-moi, je vous en prie » y précédait un numéro de téléphone.  Entre ce dîner qui remontait à dix jours et cette rencontre qui se profilait, ils avaient échangés quelques messages écrits via leurs téléphones mobiles. Sur le point de le revoir, elle doutait. Après tout, qui était cet homme ? Elle s’était sentie irrésistiblement poussée vers lui sans qu’aucune raison ne puisse l’expliquer véritablement. Etait-ce raisonnable ? Elle savait bien que non mais la curiosité la poussait à y aller, l’évidence que quelque chose se jouerait, se jouait déjà la portait à le retrouver malgré ses scrupules.

Il s’était assis près de la fenêtre, de cette manière, pensait-il, il pourrait la voir arriver. La regarder sans qu’elle ne s’en aperçoive, juste un petit moment. Il voulait étudier sa démarche, détecter l’impatience, la peur ou toute autre émotion dans son regard, remarquer un sourire au coin des lèvres ou une bouche serrée de peur. Machinalement, il regardait à intervalles réguliers l’heure affichée sur sa montre. Il se demandait si elle n’allait pas lui faire faux-bond. Ils ne se connaissaient pas après tout. Comment se faisait-il qu’ils avaient eu cette envie de se revoir ? Etait-ce approprié ?

En sortant du métro, elle s’arrêta devant le miroir de la devanture d’une pharmacie. Elle remit un peu d’ordre dans ses cheveux, passa un peu de blush sur ses pommettes. Elle se surprit de cette soudaine coquetterie, cela faisait longtemps que ça ne lui était pas arrivé. Elle vérifia, pour la quatrième fois au moins, l’adresse qu’elle avait notée sur un bout de papier et qu’elle connaissait néanmoins par cœur. Elle aurait un peu de retard. Souhaitait-elle qu’il l’attende malgré leur retard ou bien qu’il soit parti à son arrivée, ce qui lui permettrait de ne pas avoir à assumer ce rendez-vous ?  
En tournant au coin de la prochaine rue, elle devrait apercevoir le café. Son cœur avait accéléré ses battements, pas énormément mais suffisamment pour lui faire prendre conscience de ce qu’elle ressentait.

Je pense que c’est elle. Il regardait fixement cette femme avancer d’un pas assuré vers le café où il se trouvait. Il reconnaissait ses cheveux courts coupés au carré qui l’avait tant bouleversé par le côté mutin et espiègle de l’enfance que cela lui inspirait. Le moment de se retrouver face à face était désormais imminent. Il se délecta de ses dernières secondes comme on déguste les dernières larmes de café au fond d’une tasse. Sa démarche lui plaisait : elle marchait droit, le menton relevé, le balancement de ses bras le long de son corps était gracieux. Elle portait un jean bleu foncé, des bottines rouges à petits talons, un foulard coloré autour du cou et une petite veste noire. Elle était pleine d’assurance : celle de le retrouver ? de lui plaire ?
Avant d’entrer dans le bar, elle s’arrêta sur le trottoir : elle fouilla dans la poche arrière de son jean duquel elle sortit un petit papier qu’elle déplia et lut. L’information enregistrée, elle releva la tête et regarda en direction de la devanture. Son hochement de tête signifie qu’elle est à la bonne adresse, remarqua-t-il pour lui-même. Cette confirmation ne fut pas suivi du même empressement que précédemment. Debout,  presque figée à quelques mètres de la porte, elle semblait… hésitante. Il eut peur qu’elle fasse demi-tour. Tout était possible après tout : elle pouvait très bien penser que ce n’était pas une si bonne idée que cela de se voir, que la réalité de leurs personnes et de cette rencontre pouvait être moins intéressantes que le fantasme. Elle se mordit les lèvres, j’y vais, j’y vais pas, semblait-elle penser. A ce moment précis, il la trouva terriblement belle.

Elle entre.

J’entre !

Il changea de place pour être face à l’entrée.


Cela fait un quart d’heure qu’ils sont attablés avec ce silence entre eux. Ils ont l’air serein, à l’aise… bien en somme. Ils se regardent puis se sourient timidement. Ils ont l’air de se détailler, de vérifier que chaque détail du visage de l’autre est conforme à… quoi ? à leur souvenir et ce que cela aura généré en terme d’émotions lors de ce fameux dîner ? Ils n’observaient pas que leur physique, la profondeur de leurs échanges oculaires semblait également sonder leurs âmes respectives.
Les seuls mots qu’ils avaient réussi à prononcer étaient ceux adressés au serveur qui les avait rejoint à leur table pour prendre leur commande : un thé au jasmin pour elle et un café allongé pour lui.
Le serveur lui-même, n’émit pas le moindre son en déposant devant chacun sa boisson fumante. Il avait du  saisir la solennité de leur rencontre dans ce café. Les mots semblent de trop lorsque la symbiose se manifeste.

Quelle élégance ! Ses doigts fins comme de la dentelle qui se glisse dans l’anse de la tasse. Cette tasse qui atteint ses lèvres roses et gonflées de vie et de baisers échangés. Il était subjugué par elle et ses gestes. Il cherchait dans son esprit quoi lui dire. Il pourrait commencer par des banalités sur sa journée de travail, ou bien la lancer sur le sujet du dîner auquel ils avaient participé, après tout, il était leur seul point commun. Mais cette conversation là était close et ne pouvait plus être évoquée, une autre était en train de démarrer. Cette nouvelle conversation ne pouvait souffrir d’aucune maladresse. Elle devait s’inscrire dans ce futur, le proche, comme le lointain, qui se profilait, même s’il pouvait se révéler incertain et semé d’embuches. Il ne quittait pas des yeux cette main, qui avait quitté quelques secondes plus tôt la tasse, pour se poser nonchalamment sur la table de bois entre eux. La prendre dans la sienne, la caresser, sentir un peu de sa peau. Commencer par là, doucement, avant de pouvoir découvrir le reste. Ça lui prendrait du temps de parcourir l’entière surface de peau qui recouvrait son corps. Du temps, de s’en imprégner comme il en avait envie.

Pourquoi n’arrivait-elle pas à ouvrir la bouche, se demandait-elle. Pourquoi, aussi,  n’était-elle pas gênée de ces mots qui ne venaient pas, ni de lui, ni d’elle. Bien qu’elle pouvait concevoir l’incongruité de la situation pour quiconque les aurait observé, tout cela était normal.

Il cherche quelque chose dans la poche de son blouson posé sur le dos de la chaise, il en ressort un paquet de cigarettes dont il en retire une. Il la porte à ses lèvres. De l’autre main, il approche un briquet près de l’embout pour l’allumer. Sa tête est penchée à l’opposé de la flamme, ses yeux plissés. Elle le trouve irrésistiblement attirant. Une folle envie de le tenir serré dans ses bras et d’enfouir son visage dans son cou la prend. Elle se retient. Ce n’est ni le lieu, ni le moment. Elle a besoin de se retrouver seule avec lui.

Les tasses vides, la cigarette consumée, il écrase son mégot dans le cendrier posé entre eux deux. Il se lève doucement, lui fait un signe de tête signifiant, je reviens, et se dirige vers le bar. Il sort de son portefeuille un billet, règle les boissons au serveur au visage poupin,  replace le portefeuille dans la poche intérieure de son blouson de cuir. Il se retourne, la fixe des yeux et l’enjoint à le suivre vers la sortie. Elle place ses lunettes de soleil sur son nez, il la regarde faire et place son bras sous le sien, comme ça, parfaitement naturellement.

Avant d’entamer leur marche, ils ont un temps d’arrêt. Côte à côte sur le trottoir, leurs épaules se touchent. Ils sont comme étonnés par le mouvement de la ville, les voitures qui passent devant eux, les gamins perchés sur des trottinettes un gros cartable sur le dos. Après ses minutes calfeutrées dans le silence et la douceur de leur rencontre, le choc de la vie en dehors d’eux les surprend, les laissent abasourdis. Au bout de quelques minutes, il la regarde, lui adresse un sourire comme pour l’avertir que lui est prêt. Elle hoche la tête, elle aussi. Ils peuvent se mettre en route.  Ils marchent d’un pas rapide. Ils ont l’air pressés. Pour autant, ils se savent pas où ils vont. Vraiment aucune idée. Ils se laissent juste portés par leur impatience à être ensemble et la volonté de le rester un bon moment encore, avant de regagner leurs appartements respectifs.

Les trottoirs sont impraticables. Tout semble leur barrer le chemin. Ils sont obligés de slalomer entre les poussettes, les petits vieux sortant des commerces du quartier, des femmes d’affaire en tailleur et téléphone portable collé à l’oreille, les étudiants déambulant par petits groupes de façon lascive à la recherche de quelque événement excitant avant de rentrer potasser. Du coup, ils marchent de plus en plus vite, ils courent presque. Ils se sentent comme portés dans une course dont ils ne connaissent toujours pas la fin. Elle rit aux éclats, il la serre plus fort contre lui. C’est lui qui mène la danse et la guide entre ces obstacles urbains. Ils ne se sont toujours pas échangé un mot depuis leurs retrouvailles.

Les rues qu’ils empruntent sont de moins en moins encombrées, leur rythme de pas ralentit. Le soleil rougeoyant de cette fin d’après-midi automnale créé une atmosphère douce et sucrée. Ils s’attardent volontiers devant les vitrines de magasins. Une boulangerie offre à leur gourmandise de délicieux présages, ils y entrent et y achètent des tartelettes aux fruits. Munis désormais de leur petit sac, ne sachant toujours pas où ils s’arrêteraient, ni quand ils mangeraient ces pâtisseries, ils continuaient leur marche. Une rue puis une autre. Cela fait bien une quarantaine de minutes qu’ils se baladaient de la sorte et ne semblaient ni ennuyés, ni pressés d’arriver à destination. De peur, probablement, que cela marque d’une certaine manière la fin inéluctable de cette si agréable après-midi passée ensemble.

Au détour d’une rue, ils aperçoivent un petit parc. Ils passent la petite grille verte et spontanément, sans s’être consultés au préalable, ils s’assoient sur un banc. Il sort de son paquet les deux gâteaux, les lui présente pour qu’elle choisisse celui qu’elle veut. En silence, toujours, ils dégustent les tartes. La dernière bouchée engloutie, il fume une cigarette. Un vent frais se lève, elle se blottit contre lui comme pour s’en protéger. Ou pour sentir la chaleur de son corps contre le sien. Elle pose sa tête dans le creux de son épaule et respire la fumée qui s’échappe de sa bouche à lui. C’est comme de partager cela avec lui, de prendre en bouche ce que lui-même avait quelques minutes plus tôt. C’est comme respirer son haleine, n’avoir qu’un souffle pour deux. Brusquement, elle se redresse. Le dos bien droit, elle regarde au loin, plisse les yeux pour mieux regarder au loin. Elle se tourne alors vers lui et lui dit : « Allons là-bas » en lui désignant du menton un immeuble de l’autre côté du parc. Ce sont les premiers mots qu’il entend d’elle depuis qu’ils ont quitté le café, les premiers mots qu’il lui adresse directement. Il regarde attentivement l’endroit désigné. Il lui demande si elle est sûre. « Pas toi ? » lui répond-elle effrontément.

Sans ajouter quoi que ce soit, il la prend par la main et reprenne leur chemin. Sauf que cette fois-ci ils savent où ils se rendent.

Arrivés devant l’immeuble, main dans la main, ils découvrent ensemble la devanture « Hôtel du parc ».

A pas feutrés, comme par peur de déranger quelqu’un qui serait en train de faire une sieste, ils pénètrent dans la chambre. Un grand lit trône au milieu de la pièce assez spartiate pour le reste. Des rideaux en mousseline blanche et deux tables de chevet munis de petites lampes sont pour ainsi dire les seuls autres éléments de décoration de cette chambre. Il dépose sa veste sur le lit, se dirige vers la fenêtre et l’ouvre en grand. Elle se dirige vers lui et se colle à son torse. Instinctivement leurs mains caressent l’autre par-dessus leurs vêtements. Très vite, la pression se fait plus forte, très vite le désir monte. Ils s’arrachent littéralement leurs vêtements et les balancent aux quatre coins de la pièce. Entièrement nus tous les deux, l’un en face de l’autre sans se toucher, ils se regardent.
- Tu ne vas pas regretter ?  Tu ne regrettes pas déjà ?  lui susurre-t-il
- Jamais ! et toi ?
- Non plus. Dès que je t’ai aperçu, j’ai eu envie de te faire l’amour. Je ne comprends pas mais c’est comme ça.

Les corps humides de sueur, dans les bras l’un de l’autre, ils savouraient la plénitude du plaisir ayant atteint son paroxysme. Il faisait déjà nuit. Combien d’heures avaient-ils passé à faire l’amour comme si leur vie en dépendait ? Ils ne sauraient le dire mais savaient qu’il était temps que chacun rentre chez soi.
- Il va falloir que j’y aille. Il est déjà tard lui annonça-t-il en regardant sa montre qu’il avait posé sur la table de chevet.
- Je sais bien. Moi aussi je dois rentrer. On va se revoir ?
- oui, enfin si tu en as envie aussi.

-       Bien sûr, lui répond-elle en lui caressant les cheveux

-       Que vas-tu lui dire ? Il risque de te poser des questions à rentrer si tard.

-       Je l’avais prévenu que je prendrai un verre avec une amie après le boulot. Je lui dirai juste que nous n’avons pas vu le temps passé, que nous avions beaucoup de choses à nous raconter. Et toi, penses-tu pouvoir être comme d’habitude avec lui quand tu iras au bureau demain. C’est ton patron après tout.

-       Je verrai. Ce qui m’importe c’est de te revoir. Si je dois continuer à mentir pour cela je le ferai, si je dois démissionner je le ferai. Il est peut être ton mari et lui mon patron, tu n’en restes pas moins une femme qui m’a subjugué et dont je suis tombé amoureux.

 

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